Premières rencontres. [réservé : Eliane]

[Ezeras Regen]

Tout n'est qu'obscurité. Plus aucune sensation. Plus de douceur, de chaleur, de douleur. Plus de vie. Pendant un court instant, plus rien n'existait pour lui parce qu'il n'existait plus.

Il entendit l'air vibrer, musique sylvestre des feuilles et des branches emmenées par un chef d'orchestre éolien. Il sentit dans ses mains le chatouillement des brins d'herbe. Quand il ouvrit les yeux, il fut surpris de redécouvrir la lumière. Il venait d'un monde où le blanc immaculé recouvrait tout et se retrouvait entouré de mille couleurs. Il était sur la berge d'un lac bleu aux reflets d'émeraude, l'herbe se dressait fièrement, haute et dense, et verdissait partout le paysage. Les fleurs étaient diverses mais en tout coin. A chaque regard il découvrait une plante qu'il n'avait vu que dans des livres. Parfois il était ramenée à son monde par une fleur qu'il connaissait, qu'il avait déjà scruté, mais ce n'était que des exceptions dans ce jardin inconnu. Pourtant, il ne se sentait pas inquiet. Rien ne lui était familier ici, mais il s'y sentait plutôt bien, comme près de son lac.

Il repensa alors à son lac, celui-ci qui quelques minutes, peut-être quelques heures auparavant, l'avait phagocyté. Cela ne dura presque rien, quelques secondes, pas plus, mais il repensa à ses émotions d'alors. Etait-il triste ? Il savait qu'il mourait, il le ressentait, et pourtant il ne se rappelle pas avoir été triste à cet instant. Quel était ce sentiment étrange qui l'a traversé au dernier instant de sa vie ? Peut-être rien d'important, peut-être qu'il n'avait rien ressenti, trop surpris pour cela. Il ne pouvait cependant s'empêcher de se poser cette question, il avait vécu la fin, et ne savait pas ce qu'il avait ressenti. Après un moment de réflexion qu'il remit à plus tard, il entreprit de comprendre où il se trouvait. Ses vêtements encore légèrement humides indiquaient qu'il était bien tombé à l'eau mais que le temps avait passé depuis. Peut-être s'était-il évanoui ? Comment était-il arrivé sur la berge du lac alors qu'aucun courant ne semblait le traverser. L'eau à sa surface, tellement immobile lui rappelait, ce lac gelé, dernier souvenir de sa vie passée. Mais surtout quel était ce monde ? Il avait essayé de faire partie du précédent durant 24 années et n'y était jamais parvenu. Aurait-il à recommencer tout cela pour un résultat aussi lamentable ? Il avait une certaine envie de voir quel était cet endroit, de le découvrir, mais les peurs qu'il avait connu auparavant réapparaissait dans son esprit. Alors il resta ainsi, allongé dans l'herbe, regardant cette flore si surprenante.

A un instant, il remarqua quelque chose de blanc au loin. Sans saisir pourquoi, celle-ci l'attirait. Il se releva subitement et il se mit à courir. Il ne le faisait qu'excessivement rarement, quand il était effrayé, et il se fatiguait vite. Après quelques foulées, il sentait déjà son coeur s'emballer. "Surprenant. Je meurs et il semblerait que j'ai toujours un coeur en état de marche." se murmura-t-il pour oublier ce qu'il se disait vraiment, est-ce une bonne chose que mon coeur batte toujours ? Il voulait laisser de côté toutes ces questions qui se bousculaient dans son esprit, juste un instant, il voulait découvrir ce blanc qui, au fur et à mesure qu'il s'approchait, semblait l'observer. Deux rétines azur le fixaient. Un chat, d'un blanc glacé, se tenait accroupi dans l'herbe, et regardait sans faire un mouvement Ezeras. Celui-ci s'avança alors doucement, et sans réfléchir voulut le prendre dans ses bras. Le félin se releva alors et s'éloigna lentement, avec grâce, comme pour montrer qu'il ne fuyait pas, qu'il montrait le chemin.

L'homme n'eut pour une fois même pas à penser, il sut qu'il devait le suivre. Dans le fond, la première personne en qui il eut confiance fut un simple chat blanc. Ils marchèrent ainsi, l'animal marchant toujours à la même allure, sans jamais hésiter. Tout semblait doux et paisible ici, Ezeras se demanda alors si il croiserait d'autres personnes ici. Il avait cru remarquer des barques au loin, mais avait préféré omettre cela. Il voulait profiter de cette solitude. Il commençait à vouloir découvrir puis apprécier ce monde et se disait que s'il n'avait que cette boule de poil comme compagnon, cela lui irait très bien. Les autres lui manquerait-il un jour ? Que nous apportent-ils, sinon la peur, la jalousie, la tristesse ?

C'est plongé dans ces pensées qu'il faillit ne pas entendre ces pas qui se rapprochaient de lui très rapidement. En se retournant, il fit sa seconde rencontre dans cette contrée dont il ignorait encore le nom : Félinia.

[Éliane]

Les pas qu’il avait entendus s’approcher étaient en fait ceux de la jeune Éliane. Elle s’était éloignée un peu de l’arbre pour prendre soin des plantes et des arbres entourant le lac. Bien qu’hydratés à souhait, elle devait s’assurer que les plantes ne souffraient pas du froid, ni d’aucun autre mal. Il était important de les garder toutes en bonne santé pour ne pas donner au lieu un aspect lugubre. Tous lieux appartenant à l’arbre devaient être accueillants.

Accueil qui allait apparemment être nécessaire pour le jeune homme qu’elle voyait avancer devant elle avec un chat, l’air perdu. Venait-il tout juste d’arriver ? Le chat semblait le guider vers l’arbre. Devait-elle aller l’aider ? Après tout, ce n’était pas entièrement son rôle. Bien sur, elle devait prendre soin de l’arbre et donc indirectement de ses visiteurs et de l’arbre. Mais l’accueil était plutôt réservé au guide. Pourtant, elle ne pouvait pas le laisser seul suivre un chat qui pouvait très bien l’amener à se perdre. Après tout, les animaux étaient ici très sauvages.

Ce même chat vint pourtant se frotter à ses jambes. Peut être était-ce le signe qu’elle devait aller lui parler ? Éliane le prit ainsi, aimant suivre son instinct. Elle se baissa pour caresser doucement le chat avant de s’avancer vers le jeune homme. Elle faisait beaucoup de rencontres dernièrement, elle qui n’en avait pourtant pas l’habitude. Était-ce une bonne chose ? Quelque chose lui soufflait à l’oreille qu’elle devrait se méfier. Non se méfier du jeune homme. Elle n’avait jamais aucun mauvais à priori. Mais plutôt qu’elle devrait éviter de multiplier ces nouvelles rencontres. Après tout, elle avait toujours vécue seule jusqu’ici, pourquoi changer cela si vite en allant voir de si nombreuses personnes. Trois n’était pas un chiffre si important, mais comme il était grand pour elle !

Elle se releva avant de s’avancer vers le jeune homme. Quelle pouvait être son histoire ? Il avait l’air jeune, pourtant de longs cheveux gris encadraient son visage. Elle fut enfin arrivée face à lui. Il était plutôt grand ; elle était obligée de lever la tête pour lui parler, ce dont elle n’avait pas réellement l’habitude, du haut de son mètre soixante quatorze. Que pouvait-elle bien lui dire ? Elle n’avait pas vraiment l’habitude d’accueillir et d’expliquer ce qu’était le lieu aux nouveaux arrivants… Le mieux serait qu’il aille voir Botan après qu’elle lui ait souhaité la bienvenue.

Elle ne pouvait cependant pas simplement l’accueillir et le diriger ailleurs, ça aurait été assez intimidant pour n’importe qui. Elle essaya de se mettre à sa place. N’ayant jamais vécu ailleurs que dans l’arbre, elle eut beaucoup de difficultés. Il venait probablement d’ailleurs et se retrouvait sans en savoir la raison ici. Mais elle ne savait même pas comment était l’endroit d’où il venait, ni comment il était arrivé ici… Était-ce un visiteur ou un habitant ? Et s’il était un habitant, par quel moyen était-il arrivé ici ? Était-il mort ? Elle ne savait que trop peu de choses pour lui dire quoi que ce soit. Elle ne pouvait que lui présenter le lieu. Mais avant toute chose, entrer simplement en contact semblait la bonne chose à faire.

Après tout, elle était face à lui, le regardant fixement dans les yeux depuis cinq bonnes minutes. Elle se secoua la tête de droite à gauche, les yeux fermés. C’était là le signe qu’elle essayait de sortir de ses pensées. Elle voulut faire bonne impression et offra donc au jeune homme un beau et grand sourire franc. "Bonjour !"

[Ezeras Regen]

Il n'était donc pas seul. Une seconde, il sentit une profonde tristesse s'emparer de lui, sans véritablement se l'expliquer. Si personne n'avait vécu ici, si ce monde était vide de tout autre être semblable à lui, il aurait pu imaginer ne pas revivre tout ce qu'il avait traversé dans son monde enneigé. Un être semblable à lui. Il pensa cela un instant avant de véritablement regarder celle qui se tenait face à lui. Dans un premier temps, il n'avait fait que frôler son image du regard, voulant presque éviter son existence, pour rester encore un peu dans sa solitude. Pourtant, en la regardant, il comprit qu'elle était loin d'être semblable à lui. Lui avait toujours voulu ne faire qu'un avec la nature, en vain évidemment. Elle était la nature, elle n'était nullement comme lui, elle était semblable à chaque brin d'herbe, à chaque feuille dans les arbres, à chaque nuage. Il avait toujours vu l'Homme comme un intrus. Quelqu'un qui n'a pas été invité, qui ne va pas avec le décor. Celle qui était devant lui était au centre du tableau et en faisais partie, tout en le regardant.

Elle le regardait avec insistance d'ailleurs depuis un bon moment... Avec toute autre personne, il aurait été très mal à l'aise à être srcuté ainsi, mais avec elle, il était aussi très mal à l'aise à vrai dire. Il était toutefois également surpris. Que faisait-elle ici et pourquoi la regardait-il avec tant d'insistance ?

Il fut rassuré quand son nouveau compapgnon félin vint à elle. Il faisait décidément plus confiance à ce chat rencontré cinq minutes auparavant qu'à toutes les personnes qu'il avait croisées au long de sa vie. Après tout, qui pourrait l'en blâmer ? Si il allait vers elle, c'est qu'elle ne représentait pas de danger. Elle le caressa d'ailleurs, ce qui continua à la rassurer. Peut-être était-ce son chat ? Il rejeta cette idée très vite, il n'aimait pas du tout cette idée d'ailleurs. Il avait vu dans son compagnon quelqu'un de libre, de sauvage, sans attache, et cela lui plaisait assez qu'il vienne l'aider, lui, l'homme perdu loin de chez lui, sans y avoir été poussé ou avoir été élevé dans ce but.

Mais pourquoi elle le regardait encore ? Cela commençait à être vraiment long... Il pensait et pensait et elle elle regardait elle regardait. Peut-être pensait-elle aussi c'est vrai. Elle semblait aussi peu douée que lui pour entamer une conversation en tout cas...

Il commença à se demander si elle savait où ils se trouvaient. Il l'espérait en tout cas, il avait tellement de questions en tête qu'une ou deux réponses ne pourraient lui faire que du bien. Et que ferait-il ensuite ? Pourrait-il retourner chez lui ou vivrait-il pour toujours en cet endroit ? Est-ce que...

"Bonjour !"

Elle venait de dire cela d'une voix plutôt enjouée, bien qu'un peu tremblante. Ezeras était pourtant habitué à ces salutations d'usage, mais il resta muet un instant. Après tout, ces cinq minutes de silence et d'observation n'étaient pas si terribles face à cette surprenante déclaration. Certes, il y avait plus surprenant... Mais arrivé dans un nouveau monde, tout était surprenant pour lui, n'est-ce pas parfaitement normal au fond ? Il n'eut pas le temps de répondre que son compagnon félin lui donna un léger coup de tête à la jambe puis courut vers la jeune fille, faisant de même avec elle. La boule de poils se mit alors à marcher tranquillement en direction d'un arbre gigantesque, qui semblait aussi proche que loin. La jeune fille suivit l'animal, tournant ainsi le dos à Ezeras. Celui-ci les suivit finalement assez vite, après tout, si le chat blanc le conseillait...

Ils marchèrent ainsi quelques instants, sens plus se regarder ou se parler. Le garçon se reposa encore toutes les questions qu'il s'était posé jusque-là, comme si en se les posant un certain nombre de fois, il obtiendrait un jour une réponse. La question qui trottinait le plus dans sa tête était toutefois nouvelle. Il n'avait pas répondu au "bonjour" de celle qui l'avait salué et ne savait comment résoudre cela. Face à ce problème, la physique cantique lui semblait presque un jeu d'enfants. Précisons d'ailleurs qu'il n'a aucune notion de physique cantique. Il ne pouvait lui répondre maintenant, c'était bien trop tard, mais si il ne répondait rien, ne serait-ce pas encore pire ? Comme sa solitude lui manquait... Pourtant, il y avait quelque chose dans cette situation qui ne lui déplaisait pas. Il marchait vers un arbre dans un monde inconnu parce qu'il suivait une femme qui paraissait semblable à la nature et un chat sauvage rencontré près d'un lac. il ressentit un peu de vent qui le fit sourire.

Le voici cet arbre, tellement grand, qui semblait là depuis toujours. A son pied, le chat s'allongea alors dans l'herbe, s'étirant un peu avant de trouver le repos. La jeune fille se retourna alors, pour la première fois depuis leur départ, et le regarda de nouveau dans les yeux. Par réflexe, il bredouilla "bonjour" en regardant le sol pour ne pas voir sa réaction. Il releva la tête après quelques secondes et la vit poser sa main sur l'arbre, l'air heureuse et paisible. Pour peut-être la première fois de sa vie, il parla sans réfléchir un instant. "Vous êtes liée à cet arbre, pour toujours, je le ressens en vous voyant ainsi. Vous vivez pour cet arbre, alors, vous avez une raison de vivre. Alors... Alors vous n'êtes jamais seule."

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